LE SABOTAGE DES LIGNES TÉLÉPHONIQUES DU CAMP DE RANCHAL
 
 
 

EXTRAITS DU  MEMOIRE DE MAITRISE DE  André POUTEIL-NOBLE - Juin 1978

"LE SABOTAGE DES LIGNES TELEPHONIQUES ALLEMANDES

   Au début du dernier trimestre de 1943, les Allemands installent une ligne téléphonique aérienne qui, partant de Lyon par Villefranche et Belleville, rejoint Ranchal où viennent d'être construites des installations anti-aériennes. (Les ruines de ces bâtiments existent encore actuellement). D'autres lignes desserviront également Ranchal.
   Les fils de ces lignes passaient à travers les prés, longeaient les routes, devenaient aériens pour franchir certains obstacles. Le fait même d'utiliser ce système aérien de transmission prouve que les Allemands n'accordaient pas à la Résistance en Beaujolais une très grande importance. S'il en avait été autrement, les responsables des transmissions allemands auraient pu être traités d'imprudents ou de naïfs, ce qui n'était pas le cas!
   Voilà bien le moment pour les maquis naissants ou pour les groupes de sédentaires, en quête d'une action subversive, de se manifester. Ce moment ne tardera pas.
   Les services de gendarmerie signalent à partir d'août des sabotages sur cette ligne. Le premier a lieu à Chénelette. (Rapport de gendarmerie de Monsols en date du 17 août.) (3)
   « Sur des câbles posés le 16 août 1943, 40 mètres ont été enlevés par un camion dans la nuit du 16 au 17 août. ». Le même  rapport poursuit:
    « Hier matin, les T.O. ont installé une ligne téléphonique traversant le territoire de Chénelette et reliant Mâcon à Roanne, desservant probablement le chantier de Ranchal. Cette ligne, un câble de caoutchouc, n'est aérienne qu'au passage des routes et dans la traversée des villages. Ailleurs, elle court dans les prés. »
   « Les Allemands ont emmené comme otage, le 19 août, Monsieur Rochard, directeur de la scierie de Chénelette et préviennent le maire que, si pareils faits se renouvelaient, 10 otages seraient pris parmi la population » (1)"

Le risque étant celui-ci : (Illustrations "Ranchal village vert" en exemple d'une lettre reçue par un père en Bretagne)
.

   "Ce sabotage est l'œuvre du groupe de Chatelet; les 40 m de câbles seront noyés dans l'étang Geoffray aux Dépôts, près de Beaujeu. (2)

    Les coupures vont maintenant se succéder (3)
     Le 25 août, coupure à ARNAS- « câble sectionné à la cisaille »
     Le 6 septembre, à ANSE, « à la hauteur du cimetière sur un platane »
     Le même jour, à VILLEFRANCHE, « à la Porte d'Anse »
     Le 24 septembre, « au même lieu », nouvelle coupure
     Le 5 octobre, à AMBERIEUX, 12 mètres de câbles sont coupés
     Le 16 octobre, à ST-JEAN-D' ARDIERES, au lieu-dit « Champ-Clos », la gendarmerie de Belleville signale « la section d'un câble à la portée de tous »
     Le 19 du même mois, les gendarmes Danjean et Sabarly, envoyés pour enquête « le long de la ligne téléphonique allemande de Belleville à Beaujeu, sur la commune de St-Jean-d'Ardières, de la gare de Belleville à la limite de la commune de St-Lager, sur 3km500, ont constaté, qu'entre la cave coopérative de Bel-Air et la propriété Emery, le câble avait été sectionné par un couteau ou une cisaille »

(1) Rapport de la gendarmerie de Monsols n°58 du 19 août 43
ARC.DEP.RHONE. sous-préfecture de Villefranche  « Guerre 1939-1945 »; dossier 27, dépôt de 1963. Toutes les coupures signalées sont relevées dans le même dossier.
(2) Témoignage de Jean Chatelet, 1978
(3) Annexe 19: Carte des sabotages téléphoniques "

 
           
 

"Courrier du 11 octobre 1943 de l'Obersturbannfuhrer (Lieutenant-Colonel allemand) au maire de Villefranche

à Monsieur le Maire de la Commune de VILLEFRANCHE.

Objet : mesures de représailles pour sabotage des câbles téléphoniques

     Les actes de sabotage contre les câbles téléphoniques de la Wehrmacht ont été particulièrement fréquents ces dernières semai­nes dans votre commune. Ainsi le 6/9 et 24/9 le câble de la ligne LYON-BELLEVILLE-RANCHAL a été coupé en plusieurs endroits sur le territoire de votre commune.
     En aucun de ces cas, les auteurs n'ont pu être découverts. Or, il est inconcevable, l'expérience l'a toujours démontré, que dans des quartiers très habités des petites communes, l’auteur de tels ac­tes ne soit pas connu. Pour le moins, il faudrait que la population donne des renseignements sur les auteurs ou groupes d'auteurs ou encore sur les personnes étrangères à la commune qui peuvent à juste titre être soupçonnées d'en être les auteurs. Comme dans ces conditions la population se montre passive, elle peut être soupçonnée de sabota­ge passif. La population doit par conséquent être frappée d'une amende.
     Votre commune sera donc imposée d'une amende de 3 500 000 francs ( trois millions cinq cent mille francs).
     En outre en vue d'indiquer clairement à la population la voie de son devoir dans la suppression des actes de sabotage, il est ordonné que dans chaque cas de sabotage, 3 citoyens (trois) de la com­mune seront arrêtés et internés pour la durée des hostilités dans un camp en Allemagne pour résistance passive (manque d'activité dans les recherches).
     II est à souhaiter que la commune mette elle-même sur pied un service de surveillance, afin d'éviter à l'avenir les consé­quences déjà énoncées.
     La contribution devra être versée à ma caisse avant le 10 novembre 1943 suivant le modèle du plan de perception. En cas d'o­mission, de graves mesures de police seront prises.
Cet écrit sera affiché jusqu'à nouvel ordre aux emplace­ments habituels de la Commune.

OBERSTURMBANNFUHRER .

Remarque: La commune de Villefranche sera remboursée en partie de cette somme, après la Libération. Le 11 mars 1948, 1e remboursement de 2 800 000 francs sera effectué.

   Il est évident que les Allemands ne tolèreront pas longtemps, sans réagir, que leur ligne soit ainsi sabotée. Le 11 octobre, le maire de Villefranche reçoit du « chef de la police de sûreté et des S.D. de Lyon une lettre, mettant la commune de Villefranche en demeure de payer immédiatement une amende de trois millions de francs. » (1)
   La capitale caladoise dut, bien entendu, s'exécuter, non sans argumenter « qu'aucune coupure n'avait été enregistrée sur le territoire de la commune ». (2)
   Le sous-préfet de Villefranche, à la suite de cette amende, réunira les maires du canton de Belleville, le 15 octobre, afin de leur signaler les dangers qu'encouraient les communes en cas de sabotage sur leur territoire. Un vœu sera émis par les magistrats de ces localités afin de déclarer « en cas de condamnation d'une commune, toutes les communes solidaires de la pénalité. La répartition sera faite à cet effet par M. le sous-préfet pour chaque commune suivant l'importance de la population ». (3)
    Les sabotages cependant continuent:
   Le 30 octobre, sur le territoire de BELLEVILLE, une coupure est signalée.
   Le 7 novembre, à ARNAS, deux coupures: « Au pont de l'Ave Maria », à l'aide d'un couteau et à 800m avant Villefranche. Deux cyclistes de 25 à 30 ans, roulant à vive allure suspecte, avaient été repérés dans la nuit.
   Le 7 novembre, coupure à « La Plume », commune de BELLEVILLE.
   Le 8 novembre, à VILLEFRANCHE, « au 67 de la rue d'Anse », coupure du câble Lyon-Mâcon.
   Le 10 novembre, « à La Plume, à 3,5km de BELLEVILLE, nouvelle coupure: les gendarmes signalent naïvement : la coupure du câble est à portée de la main ».
   Le 29 novembre, « au Champély », commune de ST-JEAN-D'ARDIERES.

(1) Voir en annexe le contenu de cette lettre « Annexe n°26 ».
(2) A signaler une lettre du sous-préfet Limousin du 27-10-43, adressée au cabinet du préfet régional et retransmise à M. le général HAHN, commandant l'état-major principal de liaison de Lyon indiquant que « des soldats allemands du détachement stationné à Villefranche se sont introduits, le samedi 23 octobre 43, dans le jardin de la sous-préfecture, sans autorisation et y ont installé, sans m'avoir consulté, des câbles téléphoniques…Il serait prudent de faire enlever ces câbles afin d'éviter que des actes de sabotage, aisément réalisables de l'extérieur, risquent des incidents ».
ARC.DEP. DU RHONE; sous-préfecture de Villefranche. Dossier 27.
(3) Registre de délibération du conseil municipal de Belleville; réunion du 16 octobre 1943.

   Ce même jour, dans la salle de réunion du conseil municipal de Belleville, Monsieur Ferraud, le maire, avait le pénible devoir d'exposer aux conseillers qu'à la suite de sabotages commis contre les lignes téléphoniques, le commandant de la police allemande de sûreté a décidé d'infliger, à titre de représailles, une amende à la ville de Belleville. Il donne ensuite lecture de la lettre adressée à cet effet par M. le sous-préfet , en date du 23 novembre:

       Monsieur le Maire de Belleville

       J'ai l'honneur de vous faire savoir que le chef de la police allemande de sûreté de Lyon vient d'aviser M. le préfet régional de Lyon que votre commune devait payer immédiatement l'amende de 600 000 francs qui lui a été infligée, à la Trésorerie de l'état-major principal de liaison, hôtel d'Angleterre, Chambre n°7, place Carnot à Lyon, avant le 25 novembre 1943.
        Monsieur le préfet régional m'a prié de vous faire connaître que le montant de cette amende serait intégralement remboursé à la commune par les soins du département du Rhône.
        J'ai l'honneur de vous inviter à effectuer  le paiement de cette amende aujourd'hui 24 novembre 1943
        Le chef de la police allemande de sûreté a en effet fait savoir que s'il n'était pas effectué avant demain, tout retard serait considéré comme un sabotage et provoquerait de la part des autorités allemandes, des nouvelles mesures.

         Le sous-préfet. Signé Limousin (1)

    La commune de Belleville paye l'amende de 600 000F…et les sabotages n'en continuent pas moins dans les cantons de Villefranche, d'Anse et de Belleville.
   Le 1er décembre, à ANSE, le garde- champêtre signale « à 1 km au nord du bourg, au lieu-dit « Fontaine », 6 coupures sur la ligne Neuville- Ranchal » (2)
   Le 3 décembre 43, à ST-GEORGES- DE-RENEINS, au point km137, à 500m de la sortie sud du bourg, 40 mètres de fil enlevés de la maison de M. Bernard. Ce dernier ignorait que des fils passaient là, dans les arbres. « Ce sabotage fut réalisé par des Lyonnais, venus pour détériorer les lignes souterraines. »

(1) Registre des délibérations du conseil municipal de Belleville; séance du 29-11-43.
(2) Procès- verbal de la gendarmerie d'Anse, n°1547 du 1-12-43.

      Le témoignage de E.Bontoux, C.I.E.M. à Lyon Central relate ce fait:

    « Pour les câbles souterrains à grande distance, le service de relevé des dérangements et réparations nous fournissait tous les plans du câble. Le plan général d'action avait été établi en accord avec un ingénieur des lignes souterraines de Clermont…
    Dans les petites villes telles Villefranche, Trévoux, Belleville, Mâcon, Chambéry, il suffisait d'envoyer un télégramme dans le style suivant : « Envoyer 4 cageots de pommes pour mardi », pour que le soir- même, les câbles soient coupés à l'endroit désigné d'avance, à 10m près. Chaque équipe choisissait les endroits… alors on lui fournissait les renseignements: profondeur du câble, distance exacte du câble à la route…
    Une fois que j'étais en Beaujolais avec une équipe, nous n'avons pas trouvé le câble et avons creusé sous la route un véritable tunnel, soit quatre heures de travail sans résultats. Renseignements pris plus tard, la route avait été rectifiée et le câble se situait en plein champ.
   L'expédition n'a pas été perdue car, dès que nous avons abandonné, à 3h du matin, nous nous sommes vengés à St- Georges-de-Reneins sur un câble qui longeait la R.N. dans les arbres et reliait l'état-major au terrain d'aviation de Bron. Nous en avons emporté 300m.
   Ce câble était coupé trois à quatre fois par semaine par nos équipes d'Anse et de Quincieux, à tel point que les Allemands patrouillaient sans cesse avec une camionnette, le long du parcours. »

   Cet attentat sera, semble-t-il, le dernier effectué sur cette ligne Lyon- Ranchal car les services de gendarmerie ne font plus état de sabotages dans ce secteur. Sans doute, les Allemands avaient-ils trouvé un remède simple à ces mésaventures en empruntant le réseau français ou les services radio.
   Après le 6 juin 1944, en application du plan « VIOLET », commandant la destruction des voies de télécommunication de l'ennemi, les sabotages, menés à une beaucoup plus grande échelle, vont déferler dans la région. (1)

 

 (1) ARC.DEP.RHONE; fonds du comité lyonnais d'histoire de la Seconde guerre mondiale; rapport de Bontoux, C.I.E.M.à Lyon Central B72."

Un grand merci à Monsieur André POUTEIL-NOBLE pour son mémoire de maîtrise de juin 1978 dont, ci-dessous, un original utilisé pour cette page :

 

 

 

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